Depuis le 1er janvier 2024, conformément au droit européen et à la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (loi AGEC) de 2020, le tri à la source des biodéchets en vue de leur valorisation doit être généralisées. Les collectivités territoriales sont désormais tenues de mettre à disposition de leurs habitant.e.s au moins une solution de tri de ces déchets, en vue de leur traitement.
Zero Waste Paris part à la rencontre des collectivités pour savoir ce qu’elles ont déjà mis en place ou prévus de mettre en place sur leur territoire pour le tri à la source des biodéchets.
Direction maintenant la collectivité territoriale d’Est Ensemble, avec Patrick Lascoux, chargé du Programme Zéro Déchet, de la Prévention, de la Réduction et de la Revalorisation.
Zero Waste Paris souhaite souligner que les propos recueillis ne représentent pas les positions de l’association. Nous avançons nos positions et recommandations en matière de gestion des biodéchets à la fin de cet article.
Pouvez-vous vous présenter en quelques mots, ainsi que vos fonctions ?
Patrick Lascoux :
« Je m’appelle Patrick Lascoux. Je suis conseiller municipal de Noisy-le-Sec depuis 2008, de sensibilité écologiste et un des vice-présidents d’Est Ensemble, chargé du Programme Zéro Déchet, de la Prévention, de la Réduction et de la Revalorisation.
Est Ensemble regroupe aujourd’hui neuf villes du nord-est parisien et compte près de 450 000 habitants. Je suis également membre du bureau du SYCTOM (Syndicat mixte central de traitement des ordures ménagères).
En tant qu’écologiste, je me sens très concerné par la question des déchets Est Ensemble est la collectivité qui possède la compétence – laquelle est importante – des déchets, puisque celle-ci représente 50% du budget de fonctionnement du territoire. L’implication et la prise de conscience de certains élus de la collectivité sur le sujet est de plus en plus importante. Le Président d’Est Ensemble a cette problématique en tête, avec une véritable vision et préoccupation environnementales. »
Quelle est la politique d’Est Ensemble concernant le traitement des biodéchets à partir de janvier 2024 ?
Patrick Lascoux :
« Je vais déjà commencer avec quelques chiffres : l’habitat collectif représente plus de 85% du territoire d’Est Ensemble, tandis que le reste est de l’habitat individuel. Cela conditionne les moyens mis en place en matière de gestion de déchets. La collecte représente 48% de la gestion des déchets, le traitement, lui, représente 38% et le reste du pourcentage est centré sur la prévention et la sensibilisation.
Des groupes sur les déchets se réunissent souvent entre le territoire et les villes, entre les élus et les services. En 2021, ces groupes ont mené à un plan zéro déchet, dont l’objectif est de réduire le taux de déchets résiduels de 20% d’ici la fin du mandat.
Seulement, on sait qu’on pourra l’obtenir non pas, comme on le voudrait, par adhésion des habitants, mais plutôt par la baisse de consommation due à la crise économique que l’on traverse.
En 2022, il y avait à peu près 200 000 tonnes de déchets sur l’ensemble du territoire, alors qu’en 2021, il y en avait 25 000 de plus. Il y a donc eu une baisse significative.
Bien que l’adhésion des habitants ne soit pas encore totalement à l’œuvre, Est Ensemble est un territoire dynamique : il y a près de 1200 structures de l’Economie Sociale et Solidaire dédiées notamment au réemploi ou encore aux activités de compostage sur l’ensemble du territoire. Nous les soutenons financièrement et nous considérons d’ailleurs que le compostage de proximité est la meilleure version du traitement des biodéchets. De plus, cela correspond à notre projet de « renaturation » des villes. Enfin, nous incitons également les marchés à pratiquer le tri à la source. »
Des aménagements sont déjà mis en place au sein de nombreux quartiers relevant de l’Etablissement Public Territorial, pouvez-vous en parler ? Qu’avez-vous déjà fait et quels sont les enseignements que vous en avez tiré ?
Patrick Lascoux :
« Concernant les biodéchets, Est Ensemble est une des collectivités les plus dynamiques en milieu dense en Ile-de-France en matière de compostage. Trois maîtres-composteurs sur l’ensemble de la collectivité travaillent avec des associations : le but est de former des maîtres-composteurs et des responsables de sites de compostage.
Nous sommes un territoire en avance, avec plus de 400 sites de compostage partagés, des sites où il y a plus de 200 déposants et une dynamique de quartier. On a mis à disposition près de 6000 composteurs individuels auprès de particuliers.
On a notamment fait une première expérimentation de collecte des déchets alimentaires sur 6000 foyers en 2017 à Romainville, sur du pavillonnaire. Nous avons aussi voulu expérimenter différents modèles tels que le porte-à-porte ou le point d’apport volontaire.
Différents acteurs sont en jeu selon ces deux modes : il s’agit soit de faire du compostage avec Les Alchimistes – entreprise de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS), dont la mission est la collecte de déchets alimentaires, la production et la distribution de compost – soit la récupération et le traitement en méthaniseur des biodéchets par Moulinot, autre acteur important de l’ESS en Seine – Saint – Denis.
Il y a également, à Romainville, en partenariat avec le Syctom, la création d’un pôle d’économie circulaire dédié au réemploi, à la formation, etc., ou encore, à Montreuil, un projet associatif : le « Village du réemploi » dans un quartier en rénovation… Il existe plusieurs structures et locaux dédiés au réemploi sur Est Ensemble. »
Que comptez-vous encore mettre en place pour généraliser ce tri à grande échelle ?
« Tout d’abord, nous avons un fonds “Zéro déchet et économie circulaire” à travers lequel nous distribuons des subventions – que nous avons d’ailleurs augmentées – pour la sensibilisation du public. Celle-ci passe par des événements (spectacles, etc.) pour créer une dynamique sociale autour des biodéchets et informer sur le tri des déchets alimentaires à la source. Au Syctom, on a sanctuarisé un budget : 14 millions d’euros seront préservés pour la sensibilisation.
Nous considérons que les deux flux doivent en profiter : quand on parle de biodéchets, on parle d’un potentiel de gisement important, et si on veut avoir des résultats en termes de quantité, il faut qu’on ait avec nous l’implication des habitants. Nous utilisons le modèle du porte-à-porte pour les habitats individuels et le point d’apport volontaire pour les habitats collectifs.
Certaines villes ont choisi les points d’apport volontaire pour tout le monde dès janvier 2024 : Montreuil, Pantin, Les Lilas et Bagnolet. Cela va se faire en plusieurs phases, car cela représente l’installation de plus de 800 points d’apport volontaire.
On se rend compte de problématiques et craintes des habitants liés au placement des points d’apports. Il faut valoriser le retour à la terre, convaincre les habitants de changer leurs habitudes et d’adopter les bons gestes. Mais il faut aussi gagner la confiance d’autres acteurs (bailleurs, syndic, gestionnaires d’immeubles, gardiens, etc.). L’avantage du tri des déchets alimentaires est que cela agit sur tous les flux. Quelqu’un qui trie ses déchets alimentaires, c’est l’étape ultime : il trie ses emballages, est plus attentif à ses achats, etc.
Il y a également tout un travail en cours auprès de la restauration collective du secteur privé qu’il faut convaincre et inciter à rejoindre la démarche. On a des agents pour contractualiser tout cela.
Enfin, une partie des biodéchets collectés va sur des méthaniseurs agricoles dans le 77 et le Val d’Oise, avec une utilisation du digestat en engrais. »
Quelle est la communication établie par la collectivité à ce sujet ? Pensez-vous qu’elle touchera suffisamment de citoyen.ne.s ?
« Nous croyons au changement de comportement et cela passe par un travail de sensibilisation et de communication. On a multiplié par 20 le nombre d’animations en 3 ans : aujourd’hui, il y a plus de 800 animations en milieu scolaire. Il y a donc une véritable dynamique d’augmentation de ces actions-là.
Ce n’est pas un sujet glamour et le message n’est pas toujours bien compris : c’est un changement de culture qui s’opère petit à petit.
Il s’agit de sensibiliser, notamment sur les marchés, sur les points d’apport pour accompagner la démarche.
66% de l’habitat individuel ont été sensibilisés, ils ont reçu un message sur le sujet, ils n’ont pas juste récupéré leurs bio-seaux et leurs sacs. »
Pensez-vous que les citoyen.nes vont adhérer à la pratique ?
« Les habitants sont très positifs vis-à-vis de la démarche. À Romainville, ils sont très demandeurs par exemple. On sent une réelle motivation. Mais c’est une sensibilisation qui se fait dans le temps : le changement des comportements, c’est long.
Aujourd’hui, une bonne partie du territoire est desservie. D’ici fin 2024, tous les habitants auront une solution de point d’apport de leurs déchets alimentaires. »
Y a-t-il une stratégie différente selon les publics : ménages, commerces, administrations, entreprises, et gros producteurs de biodéchets (> 5 t/an) déjà soumis à l’obligation de tri à la source depuis le 1er janvier 2023 ?
« Pour parvenir à une meilleure gestion, nous avons mis en place une redevance spéciale incitative généralisée pour les petits commerces ne générant pas plus de 10 000 litres de déchets par semaine s’ils ne trient pas leurs biodéchets.
L’idée est d’aller vers de la contractualisation pour une meilleure valorisation des déchets, et notamment des biodéchets.
Les grandes entreprises (centres commerciaux, etc.) ont leur propre gestion des déchets. On travaille sur la responsabilité élargie des producteurs pour contractualiser.
Enfin, un effort qui était déjà fait et qu’on entretient, c’est la collecte de la restauration scolaire : toutes nos écoles sont pratiquement équipées. »
Propos recueillis par Inès Saab, bénévole chez Zero Waste Paris
L’avis de Zero Waste Paris
Zero Waste Paris souhaite réaffirmer que l’obligation de trier à la source les biodéchets (déchets alimentaires et déchets verts) est inscrite dans la loi depuis 8 ans*.
Tout comme Est Ensemble, Zero Waste Paris souhaite la mise en place de solutions, allant de la distribution de plus de composteurs individuels à la mise en place d’une collecte séparée (en porte-à-porte ou points d’apport volontaire), en passant par le déploiement de sites de compostage partagé (et de proximité) et la formation des habitant·es à la réduction des déchets verts.
Zero Waste Paris souhaite une accélération et une massification du déploiement des solutions de tri à la source des biodéchets, en cohérence avec la hiérarchie des modes de traitement prévue par le Code de l’Environnement (article L541-1) : prévention et réduction du gaspillage alimentaire et des déchets verts, gestion de proximité (compostage domestique ou partagé), collecte (en porte-à-porte ou points d’apport volontaire) ; l’objectif étant de maximiser les volumes de biodéchets détournés des ordures ménagères résiduelles et permettre leur retour à la terre au bénéfice des sols vivants.
Zero Waste Paris souligne les actions concrètes réalisées par Est Ensemble, ainsi que le travail de sensibilisation et de communication nécessaire qui doit être effectué sur court, moyen et long termes.
Enfin, Zero Waste Paris est également convaincu que le changement des comportements, des pratiques et des habitudes de chacun.e est possible, et a conscience de la réalité du terrain et des différents blocages notamment légaux et sociétaux, auxquels les collectivités et la structure intercommunale Est Ensemble est confrontée.
* L’obligation de trier à la source les biodéchets est en effet inscrite dans la loi depuis 8 ans :
– 2015: la loi de Transition énergétique (LTECV) rend le tri à la source obligatoire en 2025.
– 2018: la réglementation européenne avance cette date au 31 décembre 2023 (directive Cadre déchets).
– 2020: la loi AGEC (anti-gaspillage et économie circulaire) inscrit cette obligation européenne du 31 décembre 2023 dans la loi française.